Les Araméens (décembre 2012)
Éditorial
LES ARAMÉENS
En ce temps de Noël, Liens Protestants porte son regard sur le monde de la Bible, à travers le destin des Araméens. L’Ancien Testament évoque le pays d’Aram et les rois araméens. Mais le monde araméen ne forma jamais de vaste empire. Son destin exceptionnel est lié à l’essor de sa langue, devenue langue administrative de nombreux empires mais aussi la langue maternelle d’un certain Jésus ! Des passages et des traductions[1] de la Bible ont été rédigés en araméen. Encore aujourd’hui des chrétiens d’Orient, tels les maronites du Liban, utilisent cette langue dans leur liturgie. Certains villages de Syrie comme Maaloula sont toujours aramophone.
Nous tenons à remercier Stéphanie Anthonioz et Christian Cannuyer, tous deux professeurs à l’université catholique, pour avoir écrit les articles de ce dossier. Nous remercions également Monseigneur Saïd Élias Saïd, aujourd’hui rentré au Liban, d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Au-delà du monde biblique ce dossier pose la question du destin des chrétiens d’Orient. Les Églises syriaques[2], déjà amoindries par les massacres perpétrés par le gouvernement turc lors de la Première Guerre mondiale[3], s’interrogent aujourd’hui sur leur présence et leur avenir dans la Syrie moderne…
LP
[1] On appelle targoum, la traduction et donc l’interprétation de la bible hébraïque en araméen.
[2] On qualifie de Syriaques, les Églises utilisant l’Araméen dans leur liturgie.
[3] Les Syriaques furent comme les Arméniens victimes du génocide de 1915. On évalue le nombre de victimes à 500 000.
RENCONTRE AVEC MONSEIGNEUR SAÏD ÉLIAS SAÏD
Pouvez-vous nous présenter votre Église ?
Notre Église tient son nom d’un saint ermite de la fin du IVe siècle, début Ve, saint Maroun. Nous avons fêté en 2010 le seizième centenaire de son décès. Théodore de Cyr le décrit comme un homme vivant au grand air et ayant des dons de thaumaturge. On ne lui connaît pourtant qu’un seul médicament, la prière. Autour de lui une communauté de moines se forme et fonde un monastère sur sa tombe. Ce fut un haut lieu de la théologie et les moines furent des pionniers dans l’adoption de la doctrine de la double nature du Christ au concile de Chalcédoine. Ce dogme fut rejeté par les Églises dites monophysites comme les coptes. Ce différend doctrinal est à l’origine des premières persécutions contre les maronites qui vont se réfugier dans la montagne libanaise. C’est le début de la tradition d’ouverture de la montagne qui devient un refuge pour les autres persécutés, chrétiens (grecs-catholiques), musulmans (chiites) et druzes. Au XVIe siècle apparait un émir au Liban. Mais il faut attendre le mandat français pour voir se former un grand Liban, à l’origine de l’état libanais actuel. Le Liban d’aujourd’hui est une démocratie réelle, consensuelle et plurielle.
Nous sommes catholiques, car en communion avec l’évêque de Rome, mais cela ne fait pas de nous des latins ! Les maronites se distinguent des autres catholiques orientaux sur plusieurs points. Les Églises d’Orient se divisent en deux branches, une Église-mère non catholique et une Église rattachée à Rome dite uniate. Mais cela n’existe pas chez les maronites qui sont restés catholiques. La conquête arabe a séparé les maronites de Constantinople. Le premier patriarche maronite est alors élu par les moines, en 685, avec l‘accord du Saint-Siège.
Le syriaque est la version chrétienne de l’araméen, apparu à Edesse (en Turquie actuelle) et utilisé dans les paroles de consécration et dans les chants. J’ai précisé antiochienne car certaines Églises syriaques ne s’inscrivent pas dans cette tradition, comme les Églises du Kerala en Inde.
Comment définir l’araméen ?
L’araméen est d’abord une langue, une langue biblique. Vous savez que le peuple juif a été déporté à Babylone où il a appris cette langue. À cette époque la langue internationale est l’araméen, équivalent de l’anglais de nos jours, sur le pourtour oriental de la Méditerranée et dans les terres. Une partie de l’Ancien Testament est écrite en araméen comme le livre de Daniel et certains apocryphes. L’araméen biblique utilise les lettes de l’hébreu mais sa syntaxe et son vocabulaire sont qualifiés de syriaques. L’araméen est encore parlé par exemple à Maaloula, mais ce sont des variantes appelées syriaque oriental pour les chaldéens et syriaque occidental pour les maronites. L’araméen est donc encore parlé de nos jours et surtout utilisé dans la liturgie.
Quelle est la place de l’araméen dans la paroisse de Paris ? L’Église melkite a abandonné l’araméen dans sa liturgie, alors pourquoi le conservez-vous ?
Du fait de leur allégeance à Byzance, les melkites ont abandonné l’araméen pour le grec ! Mais saint Ephrem, un père syriaque, reste pour eux une référence. Le Christ et ses disciples ont parlé l’araméen de Palestine. Cet araméen est le mieux conservé dans le syriaque actuel. Vous comprenez que pouvoir prononcer des paroles de consécration dans la synchronie est un privilège que l’on ne peut pas dilapider ! À Paris nous assurons des cours d’araméen. Nous avons une quinzaine d’étudiants dont la moitié de Français, avec un taux de renouvellement de 40 %.
Fin septembre, je vais retourner au Liban où vous êtes les bienvenus. J’ai beaucoup d’amitié pour nos frères protestants. Portez-vous bien.
Merci de nous avoir accordé cet entretien
Propos recueillis par Éric Deheunynck