La recherche des ancêtres est un jeu passionnant, que l’on peut entreprendre de 7 à 77 ans, dirait Tintin. Les
vacances sont un moment propice pour commencer. Le plus simple est de poser des questions aux plus anciens de votre famille : Où est né grand-père ? En quelle année ? Etc. Quand la
mémoire des anciens défaille, on peut encore chercher les vieux livrets de famille sur lesquels on trouve ces mêmes renseignements. Il est d’ailleurs plus important de savoir « où » que
de savoir « quand », car il y a trente-six mille communes en France. Puis on se rend dans la mairie du lieu de naissance du grand-père et on demande à consulter les actes le concernant.
Les actes de mariage sont particulièrement instructifs, parce qu’ils donnent les date et lieu de naissance des mariés. Tout acte qui a plus de cent ans est librement consultable, soit dans le
registre d’origine, soit sur microfilm. Tout ce qui a plus de cent ans peut également être consulté aux Archives départementales.
De proche en proche, malgré les guerres, on remonte relativement facilement jusqu’à l’époque révolutionnaire, il y
a deux cents ans, soit un bond d’environ six générations. A la sixième génération, chacun de nous a déjà soixante-quatre ancêtres, cela fait une bonne moisson, surtout si les sources sont à
chercher dans des lieux éloignés les uns des autres. Mais si l’on veut remonter plus loin, est-ce possible ? La Révolution n’a-t-elle pas tout détruit ? La réponse à ces questions est
mitigée. D’une manière générale il est possible de remonter au-delà de la Révolution et ce ne sont pas les troubles de cette époque qui ont fait disparaître le plus de registres, mais, surtout
dans nos régions, les deux guerres mondiales. Il faut savoir toutefois que les registres ayant été tenus en deux exemplaires, il en reste un dans la majeure partie des cas.
Difficultés de la recherche
Aux difficultés courantes s’ajoutent, pour nous protestants, des difficultés spécifiques. En effet, entre la
révocation de l’édit de Nantes (1685) et l’édit de Tolérance (1787), les protestants ont été privés d’état civil particulier. Il n’y avait théoriquement plus de protestants en France, en tout cas
plus de pasteurs, plus de temples, plus de registres paroissiaux protestants. Pendant ces cent ans, soit le temps de trois générations, ce sont les curés qui ont eu le monopole de la tenue de
l’état civil. Retrouver vos ancêtres protestants dans les registres paroissiaux catholiques est un sport auquel je vous convie.
Parfois les choses sont simples : le curé dit clairement que les personnes citées sont membres de la Religion
prétendue réformée (ou plus simplement de la RPR) ou qu’elles sont adeptes de la secte de Calvin. Malheureusement ce n’est pas toujours le cas et il faut aller voir plus loin.
Beaucoup de généalogistes débutants sont troublés par les variations de l’écriture des noms de famille. Il est
donc utile de rappeler que la première tentative de stabilisation de la graphie des patronymes date de 1794, avec la loi du 6 fructidor an 2 de la République, loi toujours partiellement en
vigueur. Auparavant les scribes officiels, curés, notaires ou greffiers de justice, écrivaient à peu près comme ils entendaient. Imaginez ce que pouvait écrire un pasteur hollandais, connaissant
mal le français, quand il entendait un Picard de Thiérache, avec un fort accent paysan, énoncer son nom ! C’est ainsi qu’il faut considérer qu’un Malsuson et un Malfuson,
tous deux originaires de Brancourt-le-Grand (02), sont de la même famille. De même il est clair que Langlet, Lenglet ou Langlais sont des noms qui peuvent désigner des
membres de la même famille, etc.
Mariages à Tournai
En raison de la proximité de la frontière, les protestants du Beauvaisis, de l’Amiénois, du Laonnois, de
Thiérache, etc., ont franchi la frontière du royaume (au risque des galères pour les hommes, du bannissement à vie pour les femmes, le tout accompagné de la confiscation des biens pour faire
bonne mesure) pour aller faire bénir leur mariage par un pasteur. Il faut un petit effort d’imagination pour réaliser que ce qui est aujourd’hui la Belgique était jadis une possession espagnole
ou autrichienne (suivant les époques). Le roi d’Espagne, puis l’empereur d’Autriche, pour faire face aux ambitions de notre bon Louis XIV, ont implanté une ligne de garnisons pour surveiller
notre frontière : Furnes, Ypres, Menin, Tournai, Mons, Charleroi, Namur, etc. Vu l’éloignement de leurs troupes respectives, ces souverains ont fait appel à des mercenaires étrangers. C’est
comme cela que des troupes hollandaises protestantes se sont trouvées implantées tout près de chez nous. Ces troupes avaient leurs pasteurs. C’est vers ces pasteurs que nos protestants du Nord et
de Picardie se sont tournés, malgré les risques évoqués ci-dessus. Il existe un livre, que l’on trouve aux Archives d’État de Tournai ou à la Société d’histoire du protestantisme français, à
Paris, livre dans lequel sont répertoriés plus de mille sept cents mariages concernant essentiellement le Nord-Pas de Calais et la Picardie.
Mariages au désert
Un certain nombre d’autres mariages ont été bénis au Désert et malheureusement les traces en sont quasi
inexistantes. Néanmoins, avant de faire bénir leur mariage par un pasteur, union considérée comme illégitime par le pouvoir, nos protestants passaient généralement un contrat devant notaire et
ces contrats ont fait preuve et ont servi à la réhabilitation de ces mariages après l’enregistrement de l’édit de Tolérance (décembre 1787) par les parlements provinciaux. C’est ainsi que l’année
1788 est particulièrement intéressante à consulter dans les registres, elle donne pas mal de renseignements sur les protestants.
Les mariages « mixtes » étaient très peu nombreux, car les enfants n’étaient pas enclins à chercher un
conjoint parmi la population qui persécutait leur famille. Par ailleurs la faiblesse numérique du monde protestant restant en France a conduit à une assez forte endogamie, c’est-à-dire à un
nombre élevé de mariages au sein d’une même famille. C’est ainsi que l’on trouve un grand nombre de couples Delassus-Delassus, Drancourt-Drancourt, Fourdrain-Fourdrain,
de Saint-Just-de Saint-Just, etc.
Les baptêmes
Les enfants de ces protestants étaient baptisés par les curés de leur village, en vertu d’un édit royal. Comment
les distinguer des petits catholiques ? Il n’y a pas de règle absolue, mais plutôt une série d’indices qu’il faut regarder attentivement :
quand les
enfants sont dits, nés d’illégitime mariage, cela veut bien dire qu’il y a eu mariage, mais pas devant l’Eglise catholique ;
quand les enfants sont baptisés plus de quarante-huit heures après la naissance, il y a un doute, car le délai est
anormal ;
quand les enfants reçoivent des prénoms bibliques (Abraham, Jacob et Samuel ou Judith, Sara et Suzanne, mais il y
en a bien d’autres !) il y a là une forte présomption de protestantisme, car à l’époque où les catholiques ne lisaient pas la Bible (cela leur a été interdit jusqu’à un passé proche !)
ces prénoms bibliques n’étaient utilisés que par les protestants, à de rares exceptions près ;
quand le parrain et la marraine sont le clerc laïc (le scribe du curé) et la sage-femme, il y a aussi un très fort soupçon de protestantisme
C’est la multiplication des indices qui finit par forger une certitude.
Le côtoiement d’un curé pendant de longues années au fil des actes permet également de se rendre compte de la
manière dont il rédige ses actes, de son degré de tolérance ou d’intolérance.
Les décès
Les décès des protestants se trouvent rarement dans les paroissiaux catholiques. Seuls se trouvent de manière
certaine dans ces derniers les décès des enfants morts en bas âge, auxquels les curés ne pouvaient pas refuser l’inhumation après les avoir baptisés. Il est à noter que souvent, lors des
inhumations d’enfants, il n’y a aucun membre de la famille protestante qui assiste.
Pour les adultes, les curés avaient le pouvoir de refuser l’inhumation en terre dite sainte aux ouailles
qui n’avaient pas manifesté de zèle religieux pendant leur vie et qui, suprême horreur, refusaient les sacrements de l’Église catholique (pénitence, eucharistie et extrême onction) sur leur lit
de mort. Au plus fort des persécutions, les cadavres nus de ceux-là étaient traînés sur une claie dans les villages et jetés aux ordures, mais ces mesures extrêmes choquaient le bon peuple
catholique. Vint un édit du roi, en 1736, qui réglementa l’inhumation des protestants : déclaration de décès à la justice, constat médical, autorisation d’inhumer en terre profane,
enterrement après la tombée du jour, sans chants, avec moins de vingt personnes, sans pierre tombale, etc., le tout constaté par huissier. Les frais occasionnés par toutes ces interventions
légales avaient bien sûr pour motif annexe de casser la volonté de résistance de ces huguenots. Ces décès sont donc à chercher, non pas dans les registres paroissiaux, mais dans les registres de
justice (registres de baillage).
Malgré les recherches dans les registres de baillage, beaucoup de décès de protestants font défaut. Il faut en
chercher la cause dans l’émigration, car beaucoup ont quitté leur terre et leurs biens pour garder leur foi. Depuis nos régions il n’était pas très difficile d’atteindre la Hollande et de là
l’Angleterre ou l’Écosse, puis le Nouveau Monde…
Autres indices
Une caractéristique de ces vieux huguenots était qu’ils lisaient la Bible en famille. De ce fait, à une époque où
peu d’enfants fréquentaient l’école, les petits huguenots savaient en moyenne plus lire que leurs congénères catholiques. Ceci est particulièrement vrai pour les filles. Quand on voit, dans les
années 1750, une fille signer dans un acte officiel (devant la justice, devant un notaire) autrement que par une croix, il s’agit bien souvent d’une protestante. C’est un signe de plus à ne pas
négliger.
Face aux menaces que faisaient peser le régime (en particulier logement de troupes se livrant à des exactions
diverses) tous les protestants ne sont pas restés stoïques. Certains ont émigré, d’autres ont abjuré, la rage au cœur. Quelques uns n’ont abjuré que pour se donner le temps de préparer leur
émigration, d’autres ont vécu en pratiquant (le moins possible) un catholicisme de surface et ont rejeté le curé et ses sacrements sur leur lit de mort, malgré les peines encourues. D’autres,
enfin, ont accepté la loi du plus fort après avoir éventuellement cédé aux tentations offertes par le pouvoir (offre d’anoblissement à de riches commerçants de Saint-Quentin en échange de
l’abjuration). Il est d’ailleurs à noter que les actes d’abjuration ne sont pas faciles à retrouver, on constate que tel ou tel individu se comporte comme un catholique à partir de telle époque,
sans que l’on ait bien souvent la trace de son abjuration.
On peut donc tout à fait retrouver au sein d’une famille une branche devenue catholique à côté d’une autre restée
protestante. Ce qui est intéressant à savoir est que, compte tenu de l’importance du protestantisme en France au 17e siècle, dans toutes les régions, on peut dire que tout Français de
vieille souche qui entreprend des recherches généalogiques a statistiquement de très grandes chances de tomber sur des ancêtres protestants aux 17 et 18e siècles.
Je ne me suis intéressé que de loin aux implantations protestantes dans le département du Nord, mais il y a des
concentrations mises en évidence dans le Cambrésis (Bertry, Caudry, Quiévy, Walincourt, etc.), comme il y en a aussi dans la région de Saint-Amand-les-Eaux, Lecelles, etc. Dans le Nord comme dans
d’autres régions, il y a eu, en matière de généalogie, des précurseurs, des gens qui ont mis sur internet le résultat de leurs recherches, il y a des gens d’expérience qui sont prêts à aider les
débutants et à leur faire partager leur passion.
Faire de la généalogie, c’est faire revivre les ancêtres, découvrir leurs joies et leurs difficultés, voir la
transmission des prénoms, des métiers, de la foi, etc. ; c’est toucher du doigt la réalité des familles nombreuses, de la mortalité infantile, de la mortalité des femmes en couches, des
mariages multiples qui en résultait (les pères ayant besoin d’une femme pour élever leurs enfants) ; c’est découvrir que les familles recomposées sont une réalité ancienne ; c’est aussi
entrer en relation avec des gens qui cherchent la même chose, les mêmes ancêtres, des gens qui sont donc des parents, souvent lointains, mais parfois tout proches. De temps en temps, la recherche
d’un ancêtre s’apparente à une enquête policière : les indices sont rares, peu explicites, mais en cherchant bien, en raisonnant bien, en ne négligeant aucun détail, on finit parfois par
résoudre l’énigme et on en éprouve une grande satisfaction. La généalogie demande de la logique, de la méthode, de la persévérance, en échange elle vous fait plonger dans l’histoire, elle vous
instruit, elle vous pousse à des rencontres toujours enrichissantes. Elle est un acte de fidélité envers un passé qui fait partie de notre patrimoine huguenot. Il ne s’agit pas d’entretenir une
quelconque aigreur, mais bien de faire, là encore, un devoir de mémoire et de s’enraciner véritablement à la fois dans une région et dans une foi.
Jean-Paul Rœlly