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Le blog de Liens protestants, le journal protestant du nord

Protestants et littérature (février 2011)

31 Janvier 2011 , Rédigé par Liens protestants Publié dans #2011

Éditorial

PROTESTANTISME ET LITTÉRATURE

  

Dès les débuts de la Réforme, un lien se tisse entre le  p rotestant et l’écrit. Ce fil a un point de départ, le sola scriptura, mais il n’a pas de fin car chaque siècle a nourri la littérature protestante. Ces écrits sont aussi bien  polémiques, poétiques, philosophiques que théologiques. La liste des écrivains prote stants pourrait être très longue : J. Calvin et M. Luther inaugurent l’ère de la littérature  protestante, mais il faudrait ajouter, A. d’Aubigné, J-J Rousseau, madame de Staël, F. Guizot, B. Constant, K. Barth, P. Ricœur, et tant d’autres. Le sujet étant tellement vaste, nous avons décidé de limiter ce numéro à la littérature protestante francophone.Litt LP

Nous remercions Françoise Marti qui a pris en c  harge ce dossier et a rédigé l’essentiel des articles, fruits d’une longue réflexio n  sur le sujet. Vous pourrez ainsi découvrir ou redécouvrir des auteurs protestants comme les monarchomaques, polémistes protestants dénonçant les tyrans, Pierre Bayle  l’apôtre exilé de la tol érance, Jean-Jacques Rousseau le philosophe des Lumières. L’étude comprend aussi des articles thématiques comme un panorama des écrivains protestants francophones, une réflexion sur l’origine protestante de la littérature du moi ou encore une approche historique du rapport entre protestants et écrit au XVIe siècle.

 

Nous avons conscience que le dossier est très partiel. Aussi faut-il le prendre comme le point de départ d’une réflexion impossible à achever[1] dans le cadre d’un dossier de LP.

 

Bonne lecture à tous.

 

LP



[1] Pour ceux qui restent sur leur faim sachez que le n°56 de la Revue Nord’, revue de critique et de création littéraires du Nord-Pas-de-Calais (décembre 2010) propose un dossier de 150 pages sur "Protestantisme et littérature" (en Nord-Picardie-Wallonie). Détails en fin de dossier.

 


 

SOMMAIRE

 

Les protestants et l'écrit

Les pamphlets monarchomaques (en ligne)

Pierre Bayle,célèbre et méconnu

Jean-Jacques Rousseau

Les écritures du moi, une origine protestante ?

Panorama des écrivains protestants francophones

 

 


 

XVIe siècle

 

UNE LITTÉRATURE PROTESTANTE MILITANTE :

LES PAMPHLETS MONARCHOMAQUES

 

Le XVIe siècle voit en France à la fois la montée de l’absolutisme royal et la naissance de la philosophie politique avec la grande question de la soumission du monarque aux lois. Durant une période correspondant aux premières guerres de religion (de 1559 à 1572), les tensions montent et la problématique de l’État évolue, posant les questions de la tolérance et de la souveraineté du roi. Mais en 1572, un pas décisif est franchi avec le massacre de la Saint-Barthélemy. La réflexion politique sur la tolérance (menée par Castellion par exemple) et la position très légaliste des calvinistes vont faire place à une littérature militante réformée très virulente : c’est le mouvement monarchomaque[i].

En effet, après la Saint-Barthélemy, on ne va plus chercher de prétexte pour justifier les révoltes : « L’état s’est crevassé et ébranlé depuis la journée de la Saint-Barthélemy, depuis, dis-je, que la foi du prince envers le sujet et du sujet envers le prince, qui est seul ciment qui entretient les états en un, s’est outrageusement démentie »[ii]. C’est une véritable révolution mentale : on considère désormais le roi comme un tyran parjure envers lequel on se sent délié de tout devoir de fidélité et on se permet de poser nettement certains problèmes, comme celui de la monarchie de droit divin, de l’hérédité et de l’élection des rois de France, questions traitées par François Hotman dans La Gaule françoise (1573) : le royaume de France était électif jusqu’à Hugues Capet, il y avait alors entre le roi et le peuple un véritable contrat. Ce n’est désormais plus le cas.

Pendant cette période, c’est donc une pluie de pamphlets qui remettent en cause l’autorité royale et qui « jouissent d’un immense succès et suscitent l’intérêt d’un public très large »[iii]. Ces pamphlets monarchomaques émanent de la frange la plus extrémiste du peuple réformé. Leur argumentation se développe sur deux axes : l’axe théologique qui tente de trouver dans la Bible les arguments justifiant la résistance au tyran ; l’axe historique qui essaie de démontrer la perversion de l’État français. Dans toutes les polémiques, ce sont les mêmes passages de la Bible qui sont constamment invoqués et les protestants citent les noms des tyrannicides ou libérateurs envoyés par Dieu : Aod, Jahel, Jehu, Judith ; ils célèbrent la résistance de Lobna contre Joram (à laquelle ils identifient La Rochelle). Dans tous les écrits, on invoque 1 Samuel 8,11-18, en y trouvant l’exposé des actes tyranniques des rois non contrôlés par le peuple. Sur le plan historique, on procède à une véritable archéologie du royaume de France et L’Antitribonien de François Hotman est un réquisitoire contre les compilateurs de la loi romaine, qui favorisera la prise de distance des institutions vis-à-vis du droit romain.

Le nom de François Hotman (1524-1590) est sur toutes les lèvres pendant les guerres de religion. Jurisconsulte de renom, il se convertit lors de l’exécution d’Anne du Bourg en 1559 et lance dès 1561 un pamphlet virulent resté célèbre par sa rhétorique très cicéronienne : L’Adresse au Tigre de la France, où il s’en prend aux Guise. Puis, sa Gaule françoise connaît un immense retentissement : « Dès l’an 1573, ce livre (…) courut partout. Or combien qu’il eût recueilli à cause de cela les haines de tous ceux qui n’aiment le bien et le repos de la France, et que les suppôts du Conseil secret sentissent bien que c’était la plus grosse et rude pierre que l’on eût jetée dans leur jardin, néanmoins, son livre vola et fut bien lu. » [iv] Cet ouvrage défend la thèse « que nos ancêtres furent gens merveilleusement sages et advisez à bien dresser le gouvernement politic d’icelle » (préface) et propose de retourner aux origines « et de reduire nostre État corrompu comme une musique désaccordée, à ce bel ancien accord qui fut au temps de nos Pères » (idem). Selon lui, la liberté, qualité française, présidait en Gaule avant l’asservissement par les Romains : l’allusion est claire et vise Charles IX et ses conseillers, brigands et bourreaux qui, au mépris de tous les droits, semblent se désaltérer du sang des sujets. Ouvrage érudit, La Gaule françoise sera célébrée encore au XIXe siècle par Michelet : « Petit livre à l’érudition immense, improvisé cependant le lendemain du massacre, échappé d’un cœur ému et grandi sous les poignards qui, dans son danger personnel, a reçu la lumière de Dieu »[v].

Si Hotman est très connu à son époque, Théodore de Bèze est non seulement un personnage de haute influence, mais aussi un chef des Églises réformées militant dans la lutte engagée de 1560 à 1580. Essentiellement intéressé par le rôle des magistrats dans l’organisation de l’État, sa position évolue fortement entre 1554 où il publie De haereticis a civili magistratu puniendis, qui soutient que les gouvernements civils ont le droit et le devoir de punir les hérétiques, venant à l’appui de la position de Calvin à Genève (affaire Servet), et 1574 avec Du Droit des Magistrats dont le but est de légitimer la levée des huguenots français pour défendre leur foi et leur liberté. Sa thèse est ici posée avec netteté : l’autorité vient de Dieu seul, les princes et les magistrats commandent en son nom ; on leur doit obéissance « pourvu qu’ils ne commandent chose irréligieuse ou inique ».

Ses idées sont représentatives de la position protestante pendant la décennie 1570-1580 : si le prince est un tyran, il revient aux magistrats (et il entend par là la noblesse et les officiers) d’organiser la résistance, voire la lutte. Ce traité-pamphlet, principalement fondé sur la Bible, joua un rôle considérable dans les affrontements de la guerre civile et connut de nombreuses éditions.

C’est la même position que l’on retrouve dans les Vindiciae contra tyrannos (1579-1581) d’Étienne Junius Brutus (on semble d’accord pour voir derrière ce pseudonyme Hubert Languet et Philippe Du Plessis-Mornay). Pour lui, il est clair que la résistance au tyran revient au magistrat et que le particulier doit se limiter à une résistance passive. Il pose de plus la question du droit d’ingérence : pourquoi une nation étrangère ne pourrait-elle pas porter secours aux frères persécutés s’il n’y a qu’une Église ayant pour chef Jésus-Christ, qui doit secourir ses membres face à l’internationale papiste ? L’œuvre est truffée de références bibliques, antiques, médiévales. Cependant le débat religieux est maintenant loin derrière, il s’agit véritablement de la création d’un front, alliant antimachiavélistes et malcontents, front qui entend lutter contre les Italiens tout puissants à la cour.

De 1574 également date Le Réveille matin des François et de leurs voisins, d’Eusèbe Philadelphe Cosmopolite, publié à Édimbourg, sous forme de dialogues. Dans toutes ces œuvres, mais plus particulièrement dans cette dernière, on sent nettement l’influence du Discours de la servitude volontaire ou Contr’un, d’Étienne de La Boétie (que Montaigne regrettera d’avoir publié en ces temps troublés), qu’on en juge par cet extrait : « C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge : qui ayant le choix, ou d’estre serf, ou d’estre libre, quitte sa franchis, et prend le joug, et pouvant vivre sous des bonnes loix et sous la protection des États, veut vivre sous l’iniquité, sous l’oppression et injustice au seul plaisir de ce Tyran. C’est le peuple qui consent à son mal, ou plus tost le pourchasse ».

Toute cette littérature pamphlétaire est aujourd’hui tombée dans l’oubli. Cependant, il est indéniable que ces remises en questions du pouvoir royal absolu par des gens qui, au départ, se voulaient d’un légalisme rigoureux vis-à-vis du monarque auront contribué à faire évoluer le régime politique sur le long terme. Elle nous donne également à penser sur l’interaction entre nos conceptions théologiques et l’évolution des circonstances. Dietrich Bonhoeffer n’était-il pas arrivé aux mêmes conclusions que les monarchomaques ?

 

Françoise Marti



[i] Monarchomaque : du grec monos, seul/ arkein, commander/ makhé, combat.

[ii] Du Plessis-Mornay, Mémoires : Remonstrances aux États de Blois.

[iii] Myriam Yardeni, La Cause nationale en France pendant les guerres de religion, 1971.

[iv] Simon Goulart, Mémoires de l’Estat de la France sous Charles IX.

[v] Jules Michelet, La Ligue, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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