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Le blog de Liens protestants, le journal protestant du nord

Etats et religions (décembre 2005)

27 Septembre 2009 , Rédigé par Liens protestants Publié dans #2005

 

Éditorial

 

États et religions

 

Cette année nous commémorons le centenaire[1] de la loi de séparation des Églises et de l’État. L’année 1905 marque la naissance de notre république laïque[2]. Les Français sont, en général, très attachés à la laïcité. Mais lorsqu’il s’agit de définir le terme, chacun semble avoir sa propre définition ! Est-elle un combat contre le cléricalisme, la neutralité affirmée de l’État en matière de religion ou une forme de tolérance ? Egard Morin intitula l’un de ses articles : le trou noir de la laïcité. Nous parlons souvent de laïcité, mais nous sommes bien en mal pour la définir. En fait notre attachement à la laïcité est identitaire. Notre République se définit comme laïque. Notre constitution précise d’ailleurs dans son préambule[3] que la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale.

De plus, nous imaginons notre laïcité universelle. Il faut se rendre à l’évidence qu’elle est assez unique en son genre. LP a décidé de quitter le débat hexagonal pour une approche plus large. Découvrir les autres formes de relation entre l’État et les religions est aussi un moyen de saisir la singularité française. Aux USA, dans les pays orthodoxes, en Angleterre, en Israël et en bien d’autres pays encore, cette relation est vécue différemment. Les découvrir, c’est aussi replacer la laïcité à la française dans un contexte élargi.

 

Bonne lecture



[1] La loi a été votée le 3 juillet 1905 par la Chambre des députés par 341 voix contre 233 et le 6 décembre 1905 par le Sénat par 179 voix contre 103. Elle a été promulguée le 9 décembre 1905 et publiée au Journal officiel le 11 décembre. La loi s'applique à l'ensemble des départements français sauf quatre. L'Alsace (Bas-Rhin et Haut-Rhin) et la Moselle sont soumis au régime du concordat signé en 1801, qui prévoit un financement public des cultes. En Guyane, seul le culte catholique est reconnu et bénéficie d'un financement public.

[2] Notons que la laïcité de l’école remonte aux lois scolaires de Jules Ferry (1880-1881). La laïcité de l’école précède donc celle de l’État.

[3] Depuis 1946.

école du musée de Bunratty (Irlande)


SOMMAIRE

Séparation et laicité-séparation (en ligne)
Etat et orthodoxie
Etat et religion aux Etats-Unis
Etat et Eglises en Angleterre
Souvenirs d'enfance : le cas allemand
Israel : un Etat multicofessionnel


France

Séparation et laïcité-neutralité

 

Séparation

On dit généralement que la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation des Églises et de l’État, est la base de la laïcité à la française, un des éléments de notre particularisme en Europe. À l’occasion de la commémoration du centenaire de cette loi, les commentaires concernant les conséquences de ce texte sur l’organisation de notre société sont massivement positifs et, tout étant pour le mieux dans le meilleur des mondes, beaucoup en concluent qu’il n’y a rien à changer, ni dans les principes ni dans leur application.

Dans ce concert de satisfaction la voix du président de la FPF a fait entendre un son différent. Il plaide, lui, auprès des plus hautes autorités de l’État pour une modification de la loi, affirmant que, dans l’état actuel des choses, les protestants sont maltraités : il parle de discrimination. Je ne vais pas reprendre ses arguments qui, en bonne logique, doivent être plus ou moins connus des lecteurs de Liens. Je voudrais seulement proposer à votre réflexion quelques idées complémentaires.

Cette bonne loi a été déjà modifiée neuf fois en cent ans, ce qui rend dérisoire l’affirmation de ceux qui en font un monument historique à préserver de toute modification. Le monde évolue, il faut que la loi en tienne compte et qu’elle évolue aussi pour rester réaliste.

La loi de séparation, lorsqu’elle a été promulguée, a été qualifiée « d’infâme » par les catholiques et a provoqué la colère du Vatican. L’organisation prévue pour les associations cultuelles assurait la démocratie dans les Églises, ce qui convenait aux protestants mais pas au Vatican, attaché à son pouvoir hiérarchique. Le conflit a été aigu pendant vingt ans et n’a été résolu qu’en 1924 par la création des associations diocésaines.

Mais il n’y a pas que les catholiques qui ont critiqué la loi. Un certain nombre de protestants ont dénoncé les risques financiers afférents à cette nouvelle autonomie vis-à-vis de l’État. En effet le concordat napoléonien en vigueur jusque-là avait réglé les relations entre les Églises et l’État et assurait en particulier le traitement des ministres des cultes. Comment allait-on payer le traitement des pasteurs ? Depuis cent ans, malgré des difficultés indéniables, la loi n’a pas entraîné le cataclysme redouté dans ce domaine. En revanche, l’avantage évident est que, n’étant plus salariés de l’État, les ministres sont beaucoup plus libres dans leurs paroles.

La loi a transféré la propriété des édifices cultuels existants alors aux communes (pour les églises) et à l’État (pour les cathédrales). Ce transfert a été qualifié par certains de confiscation. Malgré les critiques de l’époque, nul aujourd’hui, je crois, ne déplore cette décision. Il s’est en effet produit quelques événements majeurs imprévisibles en 1905 : deux grandes guerres destructrices en particulier et une pollution très agressive pour les bâtiments. Si le maintien en bon état de nos grands édifices religieux n’avait relevé depuis cent ans que des dons des fidèles, il est à craindre que notre patrimoine architectural religieux n’eut été aujourd’hui proche de la ruine !

La loi de 1905 dit, dans son article 2, que l’État ne reconnaît et ne subventionne aucun culte. La formule est simple mais elle ne correspond pas tout à fait à la réalité. En effet, les départements d’Alsace et la Moselle n’étaient pas français en 1905, donc pas concernés par cette loi. Lorsqu’ils ont fait retour à la République en 1918, ils sont restés sous un régime de concordat. Les ministres de quatre cultes (israélite, catholique, luthérien et réformé) y sont salariés par l’État, ceux-ci sont donc « reconnus ». Par ailleurs, le fait que la loi, toujours dans son article 2, ait prévu un service d’aumônerie dans les lycées, les hôpitaux, prisons, etc., entraîne de facto une reconnaissance des religions qui exercent cette mission d’aumônerie. Récemment, l’État a pris acte de l’évolution de la société en créant une aumônerie musulmane aux Armées. De ce fait on peut dire que l’islam est maintenant une religion « reconnue » en France.

 

Laïcité-neutralité

Le Conseil d’État a, à plusieurs reprises[1], souligné que la laïcité implique la neutralité de l’État en matière religieuse. Mais la neutralité signifie non-discrimination et pluralisme. Or, cette neutralité existe-t-elle dans les faits ? Pas toujours, semble-t-il ! Voici quelques exemples à méditer. Quand le président Chirac va à Tarbes saluer à sa descente d’avion le pape Jean-Paul II, la République respecte-t-elle la neutralité religieuse ? J’ai posé la question à la Présidence de la République et il m’a été répondu que le chef de l’État était allé saluer le chef de l’État du Vatican. Il est clair qu’il n’en était rien, car ce n’est pas en chef d’État que Jean-Paul II venait en France mais, comme il l’a dit lui-même, en « pèlerin » vers Lourdes. Le geste de Jacques Chirac était un geste d’allégeance d’un homme envers son chef religieux, mais comme cet homme était le président de la République, incarnant en quelque sorte l’ensemble des Français, on peut dire qu’en cette circonstance il a oublié son devoir de neutralité.

Autre cas de figure : le général Eisenhower, responsable de la préparation et de l’exécution du débarquement de Normandie en 1944, a bien mérité la reconnaissance de la France. Lors de sa mort, les responsables de notre pays ont organisé une grande messe à Notre-Dame de Paris, avec force cardinaux, évêques et les plus hautes autorités de l’État. Or le général Eisenhower était protestant. Ce fait ne semble pas avoir gêné les représentants de l’État qui auraient pu tout aussi bien demander aux responsables du protestantisme parisien d’organiser quelque chose (à l’Oratoire du Louvre, par exemple), ou bien qui auraient pu demander aux autorités catholiques de prêter Notre-Dame aux protestants pour une cérémonie qui devait honorer l’un des leurs. Mais il ne faut pas rêver… La notion de neutralité n’est pas toujours bien intégrée au plus haut niveau.

De même, il est de tradition d’honorer les morts pour la Patrie. C’est ainsi que le 11 Novembre et le 8 Mai, on ne commémore pas seulement des armistices, on rend aussi hommage à ceux qui sont tombés pour assurer notre liberté. De nombreuses autres cérémonies ont lieu à des dates diverses avec des buts analogues. Par un fait curieux, ces occasions donnent très souvent lieu à célébration de messes auxquelles se rendent les autorités civiles et militaires. Il est pourtant évident que les morts pour la France ne sont pas tous catholiques, même pas tous chrétiens, la forme des pierres tombales de nos cimetières militaires l’atteste ! Les autorités civiles et militaires représentent l’État. L’État respecte-t-il son devoir de neutralité en participant systématiquement aux célébrations organisées par une seule religion ? La neutralité religieuse semble mieux comprise de l’autre côté de l’Atlantique, au moins dans ce domaine. Lors du Memorial Day, les Américains honorent les hommes tombés dans toutes les batailles de l’histoire des États-Unis. Les différentes religions sont représentées sur un pied d’égalité aux cérémonies.

L’irruption massive de l’islam dans notre paysage national a bien entendu modifié les équilibres religieux connus depuis 1905. Le monde enseignant a posé le problème du voile islamique. On a légiféré et le problème semble pour l’instant avoir perdu de son acuité. Mais si l’argument de la laïcité a été le véritable fondement de l’interdiction des signes religieux à l’école, au collège et au lycée pourquoi n’a-t-on pas appliqué ce principe à l’université ? Est-ce logique ? L’éducation nationale ne constitue-t-elle pas un tout, dépendant d’un seul ministre ? Aurait-on simplement eu peur des réactions des étudiants ? Entre la grogne des uns et la colère possible des autres les hommes politiques ont choisi une demi-mesure. Ces questions montrent qu’en fait la laïcité a été l’argument principal qui a masqué un phénomène d’intolérance de notre société en présence de l’islam et on a fait intervenir l’État, par le jeu de la loi, d’une manière « non-neutre », à mon avis. S’était-on ému dans les décennies passées de la taille et du caractère éventuellement ostentatoire des croix que les petites filles catholiques portaient autour du cou, voire des crucifix sur les murs des classes primaires des écoles publiques de Metz ?

Tous ces faits montrent que la loi ne règle pas tout. Il faut surtout que l’application du principe de laïcité soit rigoureuse et non pas orientée au profit de la religion dominante. C’est à ce prix qu’un changement de majorité religieuse n’entraînera pas de frustrations débouchant sur des conflits violents, comme ce fut malheureusement le cas au Liban dans un passé proche.

 

Jean-Paul Rœlly



[1] En particulier les 21.09.1972 et 27.11.1989.








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