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Le blog de Liens protestants, le journal protestant du nord

Les apocryphes (décembre 2007)

24 Février 2009 , Rédigé par Liensprotestants Publié dans #2007

Éditorial
LES APOCRYPHES

En ce mois de décembre, se profilent le temps de l’Avent, les fêtes de fin d’année et, peut-être pour certains, une crèche, avec l’âne et le bœuf… absents de nos évangiles ! D’aucuns diront qu’il y avait nécessairement des animaux dans l’étable, mais pourquoi alors l’âne et le bœuf ? La tradition puise en fait ses racines dans le pseudo-évangile de Matthieu datant du VIIe siècle. Ce livre apocryphe fait lui-même référence à un texte d’Ésaie (1,2-3) dénonçant Israël valant moins que certains animaux ou à un autre d’Habacuc (1,1-3) disant à Dieu : « Tu t’es fait connaître entre deux animaux ».

Les livres apocryphes[1] ont en commun de ne pas être entrés dans la liste des textes inspirés, le canon. Le doute sur leur authenticité, allant de pair avec le doute sur leur inspiration, explique la progressive mise à l’écart de ces écrits. Mais leur exclusion n’est pas toujours absolue, car certains textes canoniques ou certaines traditions peuvent y faire référence. Ces dernières années, au hasard des découvertes, des écrits apocryphes ont été retrouvés pour le meilleur et pour le pire. Pour certains, ces ouvrages contiendraient des secrets propres à ébranler les bases du christianisme ou des révélations sur la vie cachée de Jésus… thèses toujours défendues à une époque où ces livres sont trouvables dans toute bonne librairie ! En fait ils nous en disent bien davantage sur les milieux qui les ont vu naître. Les apocryphes sont donc précieux pour étudier le contexte historique des œuvres canoniques et pour connaître les mouvements religieux dissidents du judaïsme et du christianisme anciens. Ce dossier vise à faire le point, en présentant l’ensemble des apocryphes du premier et du nouveau Testament. Certains livres, comme le pseudo-évangile de Matthieu, l’évangile de Thomas et le livre d’Hénoch, seront l’objet d’une étude plus approfondie.

 

Bonne lecture

LP


[1] Les protestants parlent de pseudépigraphes, d’écrits sous un faux nom. Or la recherche contemporaine a montré que certains écrits canoniques sont pseudépigraphiques ! Le terme catholique d’apocryphe, écrit caché, a donc été préféré.



Actualité

 

APOCRYPHES ET ACTUALITÉ

 

Les apocryphes, au fur et à mesure des (re)découvertes, sortent de l’ombre. De nombreux ouvrages leur sont consacrés. Mais parfois cela peut prendre une dimension médiatique, où l’on cherche le scoop sans trop vouloir comprendre, où l’on détourne des ouvrages pour justifier des fantasmes ou des délires ! Certains annoncent des nouvelles propres à ébranler le christianisme. D’autres apportent la « clé cachée du véritable Jésus ». L’Église est accusée d’avoir déformé le christianisme originel et véritable. Le fait que ces récits soient restés cachés (pourquoi les avoir cachés ?) et parfois leur redécouverte mystérieuse (l’évangile de Judas est resté vingt ans dans les coffres d’une banque !) ont nourri bien des fantasmes et des délires ! Le Da Vinci Code fait dire beaucoup de choses à l’évangile selon Philippe… Avec ses titres accrocheurs, la presse a souvent montré son manque de culture à propos de l’évangile de Judas ! Reprenons ces deux apocryphes pour mieux comprendre mon point de vue.

Le Da Vinci Code de Dan Brown affirme que Jésus aurait eu une compagne, Marie Madeleine… Pour appuyer sa thèse, l’auteur se base sur deux phrases de l'évangile de Philippe : "Trois marchaient toujours avec le Seigneur : Marie, sa mère, et la sœur de celle-ci, et Myriam de Magdala que l'on nomme sa compagne, car Myriam est sa mère, sa soeur et sa compagne". Et quelques pages plus bas, cet évangile précise : "Le Seigneur aimait Myriam (c'est-à-dire Marie Madeleine) plus que tous les disciples et il l'embrassait souvent sur la bouche." À première vue l’affaire est entendue. Jésus a eu une compagne et, qui sait, une descendance et l’Église a voulu le cacher… Il y a dans ce genre de conclusion surtout une méconnaissance des apocryphes. L’évangile, daté du milieu du IIe siècle après J.-C., soit cent ans après la mort du Christ, est un écrit gnostique. Ce genre de récits nous informe surtout sur la pensée gnostique et non sur une vie cachée de Jésus. C’est un récit théologique et non historique. Dans les évangiles gnostiques, l'Enseigneur (le Christ) révèle un enseignement secret et "ésotérique" à un disciple particulier et privilégié. Rappelons que les gnostiques ont une hostilité déclarée vis-à-vis du monde et n'ont que mépris vis-à-vis du corps et de la sexualité. D'ailleurs, dans l'évangile de Philippe, Marie Madeleine est présentée comme étant à la fois "la mère, la soeur et la compagne de Jésus". Ceci nous indique qu’il faut chercher un sens spirituel. Le pasteur Houziaux interprète cette sentence ainsi « Le Christ est le Rédempteur qui communique le souffle de son baiser et de son enseignement à la Sophie dévoyée et perdue que représente Marie Madeleine, et ce pour la conduire au salut. » « Le Christ engendre le salut en Marie Madeleine. Le Christ est le Fils de l'Homme et Marie doit vraisemblablement être considérée comme une incarnation de la Sagesse-Sophia et la description de leur relation doit être comprise dans ce contexte. »

La même méconnaissance des apocryphes est apparue avec la redécouverte de l’évangile de Judas… Les médias ont vite repris un titre accrocheur : « faut-il réhabiliter Judas ? » Or, dans cet ouvrage gnostique, Judas n’est pas présenté comme l’auteur et le récit ne se veut pas historique. C’est une révélation faite à Judas ; Judas, l’apôtre maudit, devient l’instrument du plan divin. Le corps matériel est un obstacle au retour de l’Esprit mais, grâce à Judas, le Christ s’en débarrasse. Merci Judas qui devient l’apôtre préféré de Jésus ! Rappelons que, pour le gnostique, c’est  la connaissance qui est source de salut et non la mort et la résurrection du Christ. On n’apprend donc rien de plus ni sur Judas ni sur Jésus, mais un peu plus sur le gnosticisme.

En fait ces récits apocryphes sont difficiles à suivre. Ils ne forment pas un corpus homogène et ont en commun de n’avoir pas rejoint le canon. Il faut les replacer dans leur contexte. Ils sont à étudier et non à détourner ou déformer. Le dossier de LP espère atteindre en partie cet objectif.

 

É. Deheunynck


Synthèse

APOCRYPHES – PSEUDÉPIGRAPHES :

LE MYSTÈRE SE DÉVOILE

 

ÉVOLUTION DU REGARD PORTÉ SUR LA LITTÉRATURE BIBLIQUE APOCRYPHE

La tradition protestante au XVIe siècle en rédigeant ces différentes confessions de foi s’est attachée à délimiter clairement le contenue du canon des Écritures. La Confession de foi de La Rochelle en son article 3 énumère la liste des livres qu’elle considère comme base et règle de la foi (cf. art 4). A l’époque de la Réforme les livres qui seront intégrés comme deuxième canon (livres Deutérocanoniques) par le concile de Trente sont considérés par les Réformateurs comme apocryphes. Les arguments avancés pour minimiser leur valeur étaient essentiellement au nombre de deux. D’abord on considérait qu’ils ne pouvaient être retenus car ils ne figuraient pas dans le canon de la Bible Hébraïque. On avançait aussi l’idée selon laquelle ces livres n’avaient pas été reçus dans l’Église ancienne par tous. En cela on se référait à Jérôme qui contestait dès le IVe siècle la reprise de tous les livres de la version des Septante dans la Vulgate. Luther portait lui même un regard critique sur cette liste de livres, estimant que s’ils étaient utiles pour l’édification personnelle, ils présentaient des aspects susceptibles de ne pas concorder avec le message central des Écritures. Ces arguments sont aujourd’hui totalement discutables et discutés, fort heureusement. Les Bibles protestantes, les intégrèrent toutefois dans leurs éditions à la fin de l’Ancien Testament (voir Bible Ostervald et Martin). Mais David Martin considérait qu’ils étaient peu lus et peu dignes de lectures. Ils disparurent des éditions Françaises progressivement entre 1826 et 1909. Ces anecdotes évoquées, il est impossible de réduire le phénomène de la littérature biblique apocryphe à cette liste de 7 livres plus quelques suppléments. Les canons du Nouveau Testament et de l’Ancien ont laissé de côté de nombreux ouvrages qui ont un caractère biblique. Cette littérature est bien d’origine Juive ou d’origine Chrétienne. La traduction rabbinique les connaît et les considère comme des "sepharim hitzonim" (livres du dehors, livres extérieurs). Pour les exégètes chrétiens ces livres sont regroupés sous différents vocables tels que : Livres Deutérocanoniques, nous en avons déjà parlé, ou Pseudépigraphes, ou littérature intertestamentaire, ou Apocryphes.

 

ÉCRITS INTERTESTAMENTAIRES JUIFS

Les Pseudépigraphes ou écrits intertestamentaires Juifs ont été rédigés entre – 100 avant J.C. et 100 après J. C.. Ils ont eu une autorité réelle dans les hauts lieux religieux de leur temps. Les Pseudépigraphes sont, comme leur nom l’indique, attribués à des auteurs fictifs, mais il ne s’agit pas de faux au sens littéraire moderne du terme. On y retrouve des écrits qui visent à recomposer les mythes fondateurs. Le Livre des Jubilés, par exemple relit et amplifie de nombreux épisodes de la Genèse et de l’Exode. Le Testament de Moïse qui se rattache à la fin du Deutéronome nous présente Moïse qui s’adresse à Josué et lui récite l’histoire d’Israël jusqu’à Hérode. Les Esséniens, eux de leurs côtés, produisirent une littérature qui complétera, et corrigera selon eux la Torah : La règle de la communauté, l’Écrit de Damas. D’autres livres viendront paraphraser les écrits canoniques pour mettre en évidence un épisode particulier de l’histoire des temps bibliques ou de l’époque de leur rédaction. Malgré la fin de la grande période du prophétisme, quelques livres se référent à la tradition des prophètes, Ascension d’Esaïe, Martyr d’Esaïe, Paralipomènes de Jérémie. Mais cette période est surtout marquée par une floraison d’écrits de type apocalyptique : Le livre d’Hénoch, ou les Livres d’Hénoch, l’Apocalypse d’Esdras. Tous ces livres sont tournés vers la souveraineté de Dieu qui viendra juger le monde dans sa gloire. Les Temps de la fin et les demeures célestes sont la matière essentielle de ces œuvres magnifiques et grandioses qui influencèrent considérablement le N.T. et l’Apocalypse de Jean. Là ne s’arrête pas la diversité de ces écrits, il faut encore souligner la place de la poésie religieuse : les Psaumes de Salomon, les Hymnes de Qumrân. C’est enfin dire que la littérature de Sagesse y trouve aussi sa place : Testament de Job ou Sagesse d’Ahiqar. La liste des livres les plus connus s’élève à 54. Ce qui en soit est déjà bien plus que notre Premier Testament qui n’en compte que 39 ou 46 selon le canon Palestinien ou Alexandrin.

 

LES ÉCRITS APOCRYPHES CHRÉTIENS

Mais nous n’avons encore rien dit des écrits apocryphes chrétiens. Les premières communautés chrétiennes ne se sont pas contentées de se référer aux écrits canoniques, ceux que nous considérerons comme tels au IVe siècle. Beaucoup de choses furent écrites sur Jésus, sur son enseignement, sur l’œuvre de ses apôtres, et cela visiblement ne gênait pas les communautés naissantes. L’évangéliste Jean ira jusqu’à dire que Jésus a fait tant de choses que le monde entier ne pourrait contenir les livres qui relatent ses œuvres et son enseignement (Jean 21, 25). La littérature chrétienne apocryphe est composée d’abord de ce que l’on appelle les Agrapha. Ce sont des paroles de Jésus, des anecdotes qui ne figurent pas dans les textes du NT. Elles mettent en relief des variantes ou des références à des œuvres citées par les Pères et perdues aujourd’hui, notamment les évangiles judéo chrétiens : Évangile des Hébreux ou Évangile des Nazaréens. D’autres livres nous présentent des développements gnostiques, l’Évangile de Thomas par exemple. Cet Évangile nous livre des paroles qui ne sont pas sans rappeler d’authentiques paroles de Jésus. Au sein de cette littérature nous découvrons aussi les Évangiles de l’enfance de Jésus : la naissance du Maître, son enfance, la cohabitation en lui de la nature humaine et de la nature divine, questionnent les esprits. Plusieurs de ces évangiles de l’enfance vont influencer les traditions populaires de Noël et certaines pratiques d’église : Protévangile de Jacques, Évangile du pseudo-Matthieu, Histoire de Joseph le charpentier. Marie n’est pas oubliée, son destin est évoqué dans le récit de la Dormition de Marie. Les disciples eux-mêmes deviennent les acteurs. Saisis par la résurrection du Christ ils en deviennent les témoins vivants. Comme le Maître ils accomplissent des miracles et semblent incarner eux-mêmes la présence de Dieu là où ils passent : Actes de Jean, Actes de Pierre, d’André, de Philippe, de Thomas… Le genre apocalyptique reste vivace, le christianisme apporte des compléments aux apocalypses juives et l’on voit naître l’Apocalypse de Pierre ou l’Apocalypse de Paul…

 

EN CONCLUSION

Soit si l’on essaie de récapituler : 22 évangiles, 15 livres d’actes d’apôtres, 10 épîtres, 6 apocalypses pour les plus connus soit quand même, un total de 53 livres alors que le NT en comporte 27 ! Nous sommes obligés de reconnaître que la connaissance biblique et l’approche de la culture biblique ne peuvent aujourd’hui faire l’impasse sur la totalité de ces écrits. Ils sont divers, mais ils sont là comme des midrash inséparables de l’Écriture dont ils s’inspirent et qu’ils interprètent. A tel point que l’on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas les ranger avec les écrits canoniques dans un ensemble plus vaste que l’on pourrait nommer "Les Écritures", en opposition avec "Le canon des Écritures" qui en serait l’élément central constitutif. Pour connaître la richesse, l’espérance, la créativité dans la transmission de l’Évangile des communautés du christianisme des premiers siècles, il est nécessaire de connaître ces écrits.

Frédéric Verspeeten

 

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