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Le blog de Liens protestants, le journal protestant du nord

La fraternité (février 2006) : Caïn, Joseph et la République

29 Juillet 2009 , Rédigé par Liens protestants Publié dans #2006

Éditorial

 

La fraternité

 

 Qui pourrait dénoncer l’idéal de fraternité, qu’il soit chrétien ou républicain ? Mais dès que nous tentons de définir la fraternité, elle se dérobe à nous. Les protestants que nous sommes, peuvent y voir un principe chrétien… Ne sommes-nous pas frères et sœurs en Christ… mais dans ce cas, cette fraternité est-elle encore universelle ? Dans un pays laïque comme le notre, la fraternité républicaine se veut universelle, mais peut-elle être mise en pratique ? Les émeutes dans nos banlieues ne seraient-elles pas le signe d’un déficit de fraternité ? Dès qu’elle se veut universelle, la fraternité devient plus théorique… Si elle ne s’inscrit pas dans une pratique, ne devient-elle pas illusion ? Vous le remarquez, je suis en train de me perdre dans les méandres de la pensée.

Ce numéro vous propose trois articles pour vous éclairer sur cette question : la Bible, surtout le livre de la Genèse, nous présente des histoires de frères… Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Que penser de l’expression frère et sœur en Christ ? Un ami catholique a bien voulu donner son point de vue. Quant à notre devise républicaine, la fraternité n’en serait-elle pas le maillon faible ?

Le psaume 132 nous rappelle qu’il est bon et doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis. Frères, nous le sommes tous, soit par notre naissance au sein d’une famille, soit en humanité, soit encore dans le Christ. Mais vivre en frères… le faisons-nous ?

 

LP

 


SOMMAIRE

Joseph et ses frères (en ligne)
Attention un frère peut en cacher un autre
Frères et soeurs en Christ
La devise républicaine





Joseph et ses frères, une leçon de fraternité ?

 

I - Mise en perspective

« Caïn dit à son frère Abel : « Allons dehors » et comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » Caïn répondit : « Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4, 8-9). La première histoire de frères dans la Bible commence par un fratricide. Si Caïn a un frère, il n’est jamais qualifié de frère d’Abel. Sa jalousie et sa convoitise lui ferment les portes de la fraternité. Dès le début de la Genèse, la fraternité est brisée, comme si les hommes, créés pour vivre en frères, en étaient incapables. Plus que d’être frère, il s’agirait donc de le devenir. Comme le dit Paul Ricœur, « le fratricide, le meurtre d’Abel, fait de la fraternité elle-même un projet éthique et non une simple donnée naturelle ». Dans tout le livre de la Genèse les relations entre frères sont difficiles. Ainsi les relations entre Ésaü et Jacob (Gn 27, 1-45) sont également conflictuelles et le vol de la bénédiction paternelle n’est que le point culminant de leur rivalité. Le fuite de Jacob chez son oncle évite une issue fatale. Le temps et la distance font leur œuvre. Une fois réconciliés, chacun ira son chemin. S’il n’y a pas de fratricide entre Ésaü et Jacob, il n’y a pas non plus de relation fraternelle : les histoires de Caïn et Abel et d’Ésaü et Jacob et d’autres encore, nous montrent combien cette fraternité nous est difficile à vivre. La dernière partie du livre de la Genèse, à travers l’histoire de Joseph, pousse très loin la description du conflit entre frères mais aussi l’évocation de la construction de la fraternité… Désormais, ce récit va retenir notre attention.

 

II - Le roman de Joseph (Gn 37-50)

L'histoire de Joseph a probablement fait l'objet d'une édition autonome avant de devenir les chapitres 37 à 50 du livre de la Genèse. Le résumé ci-dessous ne peut rendre ni la profondeur psychologique, ni le suspense d’un récit à rebondissements que je vous invite à lire ou relire. Joseph est le fils préféré de Jacob, ce qui suscite la jalousie de ses frères. Ceux-ci projettent de l'assassiner mais se ravisent au dernier moment. Ils le jettent au fond d’un puits, puis le vendent à une caravane en route pour l'Égypte. Ils reviennent avec une tunique tachée de sang et font croire à leur père que Joseph est mort dévoré par une bête féroce.

Arrivé comme esclave en Égypte, Joseph devient l'intendant efficace d'un homme riche Putiphar. Mais la femme de ce dernier le convoite. Devant la résistance de Joseph qui ne veut pas trahir son maître, elle l'accuse de viol et le fait mettre en prison. Joseph y fait la connaissance de hauts fonctionnaires de Pharaon qui sont également tombés en disgrâce. Interprète des songes, il annonce à l'un de ces fonctionnaires qu'il va revenir en faveur à la cour. Lorsque cela se produit, ce fonctionnaire fait libérer Joseph qui devient l'interprète des songes de Pharaon. Son rêve le plus fameux reste la vision de sept vaches maigres dévorant sept vaches grasses, présage de sept années de prospérité suivies de sept années de famine. Joseph, devenu l'intendant de tout le royaume sauve ce dernier de la famine en prévoyant bien à l'avance la période de sécheresse. La famine frappe aussi le pays de Canaan. Les frères de Joseph sont contraints de venir chercher de la nourriture en Égypte. Joseph les reçoit. À plusieurs reprises, il met à l’épreuve ses frères en réclamant la présence de Benjamin resté auprès du père car trop jeune puis en l’accusant de vol. Mais finalement, ému par Benjamin, Joseph se fait connaître de ses frères et pardonne leur trahison. Apprenant que son fils qu'il croyait mort est toujours vivant, Jacob descend en Égypte pour le rencontrer et y demeure. Sur le point de mourir, Jacob bénit tous ses fils et prononce à leur sujet des sentences prophétiques sur l'avenir de leurs clans. Les douze fils de Jacob deviennent les ancêtres des douze tribus[1] d’Israël.

 

III - Et la fraternité fut…

L’histoire de Joseph est une réflexion sur la fraternité entre les humains. Cette fraternité est au départ une relation imposée, tenant au simple fait d’avoir les mêmes parents dont il faut se partager l’amour. Mais chacun souffre. Les frères souffrent de la préférence donnée à Joseph. Joseph est pris en tenaille entre l'amour du père et la haine de ses frères.

Au début de l’histoire, Jacob envoie Joseph vers ses frères pour une réconciliation de la fratrie. En se séparant de Joseph, le père pense amener la réconciliation entre les frères. Dans un premier temps, Joseph ne trouve pas ses frères. En chemin, il rencontre un homme qui le questionne : « Que cherches-tu ? » et il répond : « Je cherche mes frères ». La quête du frère, voilà l’enjeu de toute notre histoire. Mais les frères ne sont pas là où l’on pense ! Joseph doit accepter d'aller plus loin, comme eux devraient accepter de l'accueillir en frère. Mais ils ne l'appellent même pas frère mais « maître des rêves » et complotent contre lui. La réconciliation n’a pas lieu.

Pendant vingt ans, ils vivent séparés. Lors de leurs premières retrouvailles, les frères de Joseph ne le reconnaissent pas, ni de visage (il a l'apparence d'un Égyptien), ni de par voix puisqu'il se fait traduire. Joseph les accuse d'être des espions et soumet ses frères à une épreuve pour tester leur fraternité : « Vous ne sortirez pas d'ici tant que votre plus jeune frère n’y vienne. L'un de vos frères restera en prison et vous, partez, emportez du ravitaillement pour votre famille à cause de la disette et amenez-moi votre petit frère ». C'est ce qu'ils firent, tout en se disant l'un à l'autre : « Oui, nous sommes coupables envers notre frère (Joseph)… Maintenant son sang nous est réclamé ». Ainsi la vérité progresse puisqu’ils se reconnaissent coupables envers leur frère Joseph. Les dix frères retournent chez leur père. Dans un premier temps, Jacob refuse de lâcher Benjamin : « Vous me privez d'enfants ! » dit Jacob à ses fils. Mais la famine continue et Jacob accepte de laisser partir Benjamin. Les frères reviennent alors en Égypte avec Benjamin. À table, Joseph a fait placer ses frères par ordre d'âge ; lui-même mange avec eux… Les frères ne remarquent pas ces signes qui auraient pu leur ouvrir les yeux. Joseph met à nouveau à l’épreuve leur fraternité. Il les laisse repartir mais fait glisser son bol d’argent dans les affaires de Benjamin qui se trouve ainsi faussement accusé de vol. Mais cette fois-ci, les frères se montrent solidaires. Juda prend la parole et s'offre en esclave à la place de Benjamin, si important pour leur père. L’amour du père pour un des frères qui au début de notre histoire a créé la haine, est maintenant l'objet d'un sacrifice de Juda « pour que le père ne souffre pas ». Joseph est témoin du progrès de la vérité et de la fraternité chez ses frères. Il ne se cache plus pour pleurer et se fait reconnaître.

Le livre de la Genèse nous montre qu'il n'est pas fatal qu'un frère tue son frère. Avec le temps, avec la parole mais aussi à travers l’épreuve, il est possible de vivre ensemble, dans la bienveillance mutuelle, comme des frères. Le roman de Joseph, sans nous donner de règles à suivre, nous rappelle que la fraternité n’est pas donnée, mais se présente comme une relation à construire par chacun d’entre nous…

 

É. Deheunynck


[1] Ruben, Gad, Aser, Zabulon, Juda, Nephtali, Dan, Issachar, Lévi, Benjamin, Siméon et Joseph.


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