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Le blog de Liens protestants, le journal protestant du nord

Le créateur (mars 2006) : Dieu, la création et la science

30 Juillet 2009 , Rédigé par Liens protestants Publié dans #2006

Éditorial

 

Le créateur aujourd’hui

 

« Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l'univers visible et invisible. » Le credo-symbole de Nicée affirme d’emblée la croyance en un Dieu créateur, mais une telle affirmation est moins évidente aujourd’hui qu’au IVe siècle.

La science moderne a progressivement écarté ce qu’elle appelle l’hypothèse Dieu. Son autorité semble aujourd’hui discréditer la croyance en un Dieu créateur. Le sentiment général est d’ailleurs celui d’une incompatibilité entre les affirmations de la théologie de la création et le discours scientifique. Revues[i] et films[ii] nous confortent dans cette opinion, présentant le plus souvent l’affaire Galilée ou l’offensive des fondamentalistes américains contre la théorie de l’évolution (intelligent Design).

Ce numéro reviendra d’abord sur les fondamentaux de la théologie de la création en particulier les récits bibliques et les concepts théologiques. Ensuite se posera la question de savoir comment, aujourd’hui, affirmer la foi en un Dieu créateur. La théologie du process est une réponse à ce défi. Elle vise à renouveler la théologie de la création sans ignorer le monde dans lequel nous vivons. Quant à la confrontation entre science et religion, en particulier sur la création, elle n’est qu’un type de relation. Il en existe d’autres qui lui sont préférables et qui seront présentées en fin de numéro.

 

Chères créatures, je vous souhaite bonne lecture.

 

LP



[i] Cf. le hors-série du Nouvel Observateur Déc. 2005-Janv. 2006, « La Bible contre Darwin »

[ii] Cf. le téléfilm diffusé début janvier 2006, « Galilée ou l’amour de Dieu ».

 


 

 


 

SOMMAIRE

Introduction à la théologie de la création (en ligne)
Dieu dans son rapport au monde, une dynamique de vie sans égale
Le Dieu créateur et la science (en ligne)



 

Théologie

 

Introduction à la théologie de la création

 

Cet article n’a pas la prétention de présenter toute la théologie de la création. Il s’agit plutôt d’un inventaire des textes bibliques sur lesquels s’est construite cette théologie et d’une présentation de ses principaux concepts.

 

I - LES RÉCITS DE LA CRÉATION

 

1. Les deux premiers récits de création

Les premiers chapitres de la Genèse présentent deux récits de la création.

Dans le récit de Genèse 1, le cadre cosmique est créé avec en son centre la création de l'homme. Il s’agit d’une vision apaisée de la création où les combats divins sont absents. La création se fait par la parole. Dieu dit et les choses se font. Dieu ne crée pas à partir de rien mais à partir d’un tohu-bohu. Il sépare lumière et ténèbres, les eaux d’en haut et les eaux d’en bas. La création se fait par la séparation. Les trois premiers jours, il crée un ordre contre le chaos, ordre qui garantit la vie. Les trois autres jours, il crée l’homme et le vivant.

La création est bien différente de Dieu. Elle n'est pas d'essence divine mais bonne et bénie de Dieu. L’homme est le seul à être créé à l'image de Dieu et à recevoir une fonction (dominer les animaux). La domination de l'homme est accompagnée de limitations et de responsabilités à l’égard de la création.

Le récit de Genèse 2 et 3 est très différent. Ici, Dieu apparaît comme un potier qui façonne l’homme avec de l’argile. Le cadre n’est pas cosmique, mais celui d’un jardin appelé paradis. Les sexes sont différenciés tandis que dans Genèse 1, mâle et femelle, il les créa. Le récit de Genèse 2-3 se présente comme une histoire avec une intrigue.

 

2. Le déluge, un récit de dé-création

Le récit du déluge met en contraste le monde projeté par Dieu et le monde réel, une Terre corrompue et remplie de violence. Or la violence est retour au chaos. Dieu en tire les conclusions et souhaite effacer sa création. Le déluge est retour à un chaos primordial. Le premier acte créateur ne fut-il pas de séparer les eaux ?

Le déluge est jugement de Dieu par lequel il confronte les humains à leurs actes et non châtiment. Il n'est pas une simple catastrophe naturelle qui ne dit rien, mais souligne le destin commun de l'humanité. Le récit du déluge nous appelle à plus de lucidité et de responsabilité vis-à-vis de la création. Noé en faisant entrer dans l’arche un couple de chaque espèce, rappelle la responsabilité de l'homme à l’égard de la création.

 

3. Des récits isolés

Le passage de 2 Maccabées 7,28 (Regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnais que Dieu les a créés de rien.), a servi à défendre l'idée de création ex nihilo.

D’autres textes font la louange de la création et du Dieu créateur comme les psaumes 33 et 136.

Certains récits bibliques rappellent le combat de Dieu pour sa création contre le retour du chaos primordial, comme en Job 38-42 ou dans le psaume 74.

En Proverbe 8, la sagesse préside à la création.

En Colossiens 1,15-20, le Christ inaugure une nouvelle création.

 

 

II - LES PRINCIPAUX CONCEPTS DE LA THÉOLOGIE DE LA CRÉATION

 

1. La creatio ad extra

La création est un pur don de Dieu en dehors de lui-même (en latin ad extra). Dieu crée en se retirant. La théologie de la création a « démythologisé » le monde. Dieu n’est plus dans les sources, les arbres et autres éléments de la nature. Le monde créé n'est pas Dieu. La distance entre Dieu et sa création évite le panthéisme, fonde pour l'homme la possibilité d'être libre et autonome et rend possible la relation entre Dieu et sa créature.

 

2. Dieu, causa causarum

L’action de Dieu ne doit pas être identifiée à une cause physique mais comme causa causarum, c’est-à-dire comme la cause des causes. Cela signifie qu’au-delà d’une cause identifiable par la raison, il y a une cause qui nous est inaccessible et primordiale.

 

3. La  creatio ex nihilo

La création ex nihilo ne peut être pensée, car la création du monde se fait alors avec la création du temps. La première conséquence est que l’on ne peut se représenter un avant la création ! La seconde conséquence est que la création du temps place la créature dans un monde corruptible et changeant. La creatio ex nihilo contredit la création à partir d'une matière préexistante comme dans le livre de la Genèse. La création comme mise en ordre du chaos, présuppose l’existence d’un avant la création, ce qui est inconcevable dans le cadre de la création ex nihilo.

 

4. La creatio continua

La théologie chrétienne distingue la création originelle, la création continuée et la création accomplie dans le royaume. La creatio continua est conservation de l’univers. Dieu n’abandonne pas sa création mais reste présent à travers sa providence. Le Dieu créateur continue à soutenir sa création, en particulier face au chaos qui menace toujours.

 

5. Le Christ cosmique

L’hymne au Christ de l'épître de Paul aux Colossiens a fortement influencé la théologie du Christ cosmique. Ce Christ cosmique dépasse le Christ historique. Il est le premier-né et le fondement de toute la création. Aujourd’hui, il est le médiateur de la création. Il anime et vivifie le monde. Il annonce aussi, par sa résurrection, la création nouvelle, celle du royaume de Dieu.

 

 

Éric Deheunynck

 

 


Théologie

 

Le Dieu créateur et la science

 

La rencontre entre science et théologie apparaît de nos jours souvent risquée, tant les discours scientifiques et théologiques semblent en contradiction. Il y a là une tension que l’on ne peut ignorer. Mais le conflit n’est pas le seul type de relation possible !

 

I - Les discours théologiques et scientifiques sont-ils incompatibles ?

Pour le commun des mortels, il est d’évidence que la théologie et la science s’opposent dans leurs discours. Documentaires et journaux confirment souvent ce présupposé. Deux conflits me paraissent récurrents. Le plus ancien est l’affaire Galilée. Il n’est pas question de nier les démêlés de Galilée avec le tribunal de l’Inquisition. En revanche, exposer cette affaire comme une illustration du conflit inévitable entre science et religion est discutable. Rappelons que le pape avait demandé à Galilée de présenter les théories de Ptolémée (géocentrique) et de Copernic (héliocentrique) avec neutralité et il lui fut reproché de ridiculiser la thèse de Ptolémée. Notons que les deux modèles sont du domaine scientifique et non religieux. Le modèle de Ptolémée, qui nous vient de l’Antiquité, est conforme à la vision de l’Église de l’époque qui plaçait l’homme au centre de la création. S’il est préféré à la théorie copernicienne, c’est qu’il semble aussi confirmer un passage biblique du livre de Josué (Jos 10,12-14) où Dieu arrête la course du soleil pour donner la victoire aux Israélites. Galilée reste un croyant pour lequel Dieu est causa causarum[1]. Il faut attendre le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 pour que l’hypothèse Dieu soit exclue pour la première fois. Dans cette affaire Galilée, l’Église défend un modèle scientifique de l’Antiquité et fait donc preuve de conservatisme. Le rejet du modèle copernicien repose également sur une lecture littérale de la Bible. Aujourd’hui, tous les chrétiens ne sont pas conservateurs ou littéralistes !

Le conflit, aux USA, entre fondamentalistes créationnistes et scientifiques est l’autre exemple souvent évoqué. Le procès du singe dans les années 20, le créationnisme scientifique des années 80 et l’Intelligent Design aujourd’hui, sont les épisodes d’un conflit entre fondamentalistes et scientifiques. Mais tous les chrétiens et toutes les Églises ne sont pas concernées. On peut simplement en déduire que la lecture littérale de la Bible et le discours scientifique sont incompatibles. Mais conclure à une opposition fondamentale entre science et religion (en particulier chrétienne) est plus audacieux.

Proclamer cette opposition radicale nous place d’ailleurs devant une énigme. Pourquoi la science moderne se développe-t-elle en pays chrétiens ? En général, il est affirmé que la science apparaît en terre chrétienne malgré le christianisme. Les affaires nommées précédemment doivent confirmer cette assertion ! Mais nous n’avons pas répondu à la question ! En fait, le christianisme a désacralisé la nature qui peut devenir objet d’analyse. L’activité scientifique s’est trouvée légitimée.

L’histoire des relations entre christianisme et science ne se résume pas à un conflit. La situation est plus complexe. Remarquons déjà que la Bible a intégré les données scientifiques de son temps. Ptolémée, dont le modèle géocentrique s’était imposé, et Thomas d’Aquin, qui tenta une synthèse entre foi et raison, n’ont jamais opposé science et théologie. En règle générale, durant l’Antiquité et au Moyen Âge, la synthèse a été privilégiée. À l’époque moderne, le divorce entre science et religion apparaît. La terre n'est plus au centre du cosmos. L’homme est le fruit d’une évolution. L'univers s'auto-organise et ne correspond plus à aucune téléologie (sans direction, ni intention). L’Hypothèse Dieu devient inutile. La question du sens du monde disparaît. Dans ce contexte, quel rapport peut-on envisager entre science et théologie ?

 

II - Quels rapports entre le Dieu créateur et la science ?

Il existe trois grands types de relations possibles :

Le concordisme tente de faire concorder un discours théologique avec un discours scientifique. Il peut se faire en prenant comme référence le discours théologique : le créationnisme fait ainsi correspondre la science avec les données bibliques. Le concordisme peut se concevoir à partir de la science. Dieu entre dans le champ de la science et devient objet d’étude : « les mathématiques mènent-elles à Dieu ? ». Dieu peut occuper parfois la place d’un bouche-trou ! Il explique ce que la science ne peut expliquer (pour l’instant). Le concordisme peut donc soit nier l’autonomie de la science, soit la transcendance divine !

À l’inverse, on peut séparer l’un et l’autre, la physique et la métaphysique. Il n’y a pas d’interférence. C’est le discordisme. Théologie et science n’ont rien à se dire. Ils s’ignorent. C’est un moyen, en particulier pour les scientifiques croyants, d’écarter la tension entre les deux discours.

La troisième voie est la plus riche, même si elle est plus complexe. Il s’agit du dialogue qui n’est concevable que dans le respect de l’autonomie de chaque discours. Il peut alors permettre un échange fructueux. Ainsi, nous pouvons sortir du conflit science / théologie sans tomber dans une ignorance réciproque. Au-delà des méthodes, présupposés et concepts des uns et des autres, on peut dégager trois espaces de rencontre :

La question de l’ontologique, qui porte sur la nature du réel, est ce premier point de rencontre. Comment qualifier la réalité d'une particule ou de l'univers ? L'ontologie classique est partiellement correcte. Désormais le physicien raisonne en espace-temps et en matière-énergie. La réalité décrite n'est plus celle d’objets usuels. La science n’est pas pure analyse du réel, difficilement accessible à nos sens, mais aussi interprétation.

Science et théologie sont des discours. L’épistémologique porte sur les concepts et le langage. Ainsi, lorsque Augustin affirme que le commencement de la création est inaccessible puisque l’on ne peut concevoir un avant la création du temps, ce raisonnement est repris par les théoriciens du « big bang » !

L’éthique, qui porte sur le choix moral, est le dernier point de rencontre possible. La connaissance scientifique est éthiquement neutre, mais pose des questions morales (peut-on cloner des êtres humains ? Peut-on utiliser des armes de destruction massive ?). La science ne se suffit pas à elle-même pour répondre à ces questions.

 

III - Quels enjeux ?

Le premier enjeu du dialogue est d’éviter la fossilisation de la théologie de la création. La Bible a été rédigée dans le cadre d’une certaine conception du monde, aujourd’hui en grande partie dépassée. S’il n’est pas question de « coller » aux données scientifiques (qui changent à mesure des découvertes), il n’est pas question non plus d’ignorer ces découvertes. La théologie du process, bien qu’enracinée dans le texte biblique, est un bon exemple de cette prise en compte des nouvelles données scientifiques.

Le risque, pour la science, est de se retrouver sans vis-à-vis, considérant recouvrir toute la réalité, le discours scientifique discrédite les autres discours. Or la science n’est pas tout le savoir, ni porteuse de sens. Le discours scientifique est partiel, construit mais jamais existentiel. Peut-il prétendre recouvrir la totalité de la réalité ? « La science voit tout ce qu'elle doit voir mais elle ne voit pas tout. »

Enfin, l’enjeu concerne l’homme lui-même. La science n’est pas porteuse de sens pour nos vies. Si je considère que le sourire se réduit à des muscles, à des causes hormonales et neuronales, j'ai perdu le sens du sourire.

Le progrès scientifique et technique s’accompagne d’une crise écologique sans précédent. La création est devenue un stock dans lequel l’homme se sert impunément. Face à un homme devenu dieu par ses techniques, face à son orgueil, la théologie a un discours à faire entendre. Pour le théologien, la crise écologique ne se pose pas en termes techniques mais moraux et comportementaux.

La rencontre entre science et théologie n’est donc pas seulement théorique. Elle a des conséquences hic et nunc[2]. Et n’oublions pas que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme[3] ».

 

Éric Deheunynck

 


[1] La cause des causes, en latin.

[2] Ici et maintenant, en latin

[3] Rabelais (1484-1533), dans Pantagruel.

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M
Je signale les travaux du philosophe des sciences : Michel Lefeuvre sur la question de l'Evolution.<br /> Voir pour cela en marge de droite du blog : www.marike.over-blog.com : l'une de ses conférences et ses publications. Il s'appuie en partie sur les travaux purement scientifiques du professeur Rosine Chandebois, embryologiste.<br /> comment se fait-il que l'on a fait aussi quasiment l'impasse sur les travaux de Pierre Paul Grassé "L'Evolution du vivant" ? ...(Voir aussi l'article de M. Lefeuvre dans "Teilhard aujourd'hui"-mars 2009-p.19)
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L
<br /> Merci pour ces précisions qui réactualisent un article publié en 2006<br /> <br /> <br />